Parlez toujours de @femin.is.b.b_labaronne
- Lola Houari Crocherie
- 5 déc.
- 9 min de lecture
Voici Parlez toujours, le témoignage poignant d’une femme qui a choisi de briser la loi du silence.
Un texte fort, brut, essentiel.
Elle écrit des textes engagés, c’est une essayiste féministe dont le premier recueil paraîtra bientôt.
Nous le partageons avec respect et admiration pour son courage à mettre des mots sur l’indicible, et à rappeler pourquoi la parole peut sauver.
N’hésitez pas à aller découvrir son travail sur son compte Instagram.
.......... Avant-Propos ..........
Cela fait quelques temps déjà que je pense à me lancer dans l’écriture de ce texte. J’ai laissé le temps filer par manque de courage, par peur du jugement, par lâcheté. Aujourd’hui il me semble urgent de communiquer sur ce sujet car j’ai subi moi-même, dans différents contextes, les conséquences destructrices de la loi du silence, à ce titre je ne peux plus repousser cette écriture qui me semble primordiale.Je n’ai pas prétention à trouver les mots justes, à être instructrice, donneuse de leçon, je n’ai pas plus de légitimité que quelqu’un·e d’autre, j’ai seulement une histoire à raconter et l’envie aujourd’hui de prendre la parole
.......................................
Personne ne nous a inspiré par son silence et sa pudeur. Que ce soit Judith Godrèche, Camille Kouchner, les victimes de Bétharram, Krisztina Rady ou encore les proches de Depardieu, toutes les personnes qui ont parlé des violences qu’elles ont subies nous ont inspirés par leur courage à prendre enfin la parole et non par leur silence.
Quand nous abordions avec mon entourage le sujet des VHSS médiatisées (l’affaire Betharram, l’affaire des viols de Mazan, l’affaire PPDA etc.) je n’ai entendu personne congratuler la pudeur, le silence pendant de longues années, remercier d’avoir préservé l’agresseur·se si longtemps. Je n’ai entendu personne non plus dire qu’il était trop tard pour parler, ou trop tôt, que c’était pour les mauvaises raisons, que c’était pour faire étalage de cette position de victime. Je ne les ai pas entendus car dans mon cercle on soutient ce genre de démarche, on soutient la réparation des victimes, on soutient la prise de parole. On condamne la loi du silence et l’omerta qui règnent en maître sur ces violences et offrent un trône confortable aux agresseurs·ses.
Ce fut un tout autre discours quand il s’est agi pour moi de parler de mon expérience personnelle mettant en cause des proches. Je les ai pris en plein visage, les attaques, les jugements, les personnes qui m’ont dit que je parlais pour me venger, les personnes qui m’ont traitée de menteuse sans avoir jamais entendu mon histoire, les personnes qui m’accusaient de parler pour me victimiser, les personnes qui m’ont dit que ce n’était que pour attiser la haine envers mes agresseurs. Je ne peux que déplorer que ces mêmes personnes soient si engagées lorsque l’agresseur·se n’est pas dans leur cercle proche, et en même temps je trouve cela logique.L’affect biaise toutes nos relations, dans le bon sens comme dans le mauvais et dans le cas des VHSS, l’affect souvent nous trompe, nous met en danger, nous demande de regarder ailleurs.
J’ai été victime de VHSS dans mon enfance puis une seconde fois victime du silence de ceux qui savaient et qui m’ont laissée en contact avec mon agresseur. Pas par désintérêt pour ce qu’il m’arrivait, mais parce qu’elles eux-mêmes étaient victimes d’un déni terrible, incapables d’accepter que l’un de leur proche soit un agresseur et pire, qu’il avait agressé un membre de leur famille. Une autre partie a fermé les yeux par manque de courage, par lâcheté, par inconfort, en se disant que ce n’était pas à elle eux de parler, que quelqu’un·e d’autre le ferait, qu’ils n’avaient pas à endosser ce rôle, et comme chacun·e a remis la tâche sur son·a voisin·e alors finalement personne n’a rien fait, et j’ai continué de côtoyer quotidiennement la personne qui m’avait agressée.
Je suis aujourd’hui bien placée pour comprendre qu’accepter qu’un·e de ses proches soit un·e agresseur·se et participer à sa prise de conscience est extrêmement difficile.D’abord il faut accepter que quelqu’un·e qu’on aime qu’il soit capable de ces actes, on n’a pas envie que cela devienne vrai, on n’a pas envie d’y croire, on voudrait seulement croire en la rédemption, croire que c’est un mensonge, croire que c’est accident, qu’il y a erreur, que la victime se trompe, qu’il s’agit de quelqu’un·e d’autre. Notre cerveau trouve mille excuses pour ne pas réaliser l’impensable tant cette vérité est douloureuse.
Et puis c’est un sujet qui met mal à l’aise, on a envie de regarder ailleurs, on n’a pas envie d’entendre les choses moches de la vie, on est inconfortable, on a peur de ne pas être à notre place si on parle, si on confronte, si on raconte. Seulement voilà, ce n’est la place de personne et en même temps c’est le rôle de tout le monde, de toustes celleux qui voient, de parler, de casser le cycle de la violence, d’apporter sa pierre à l’édifice pour que jamais ces actes ne se reproduisent.J’ai réussi à réaliser cela et à décortiquer ces mécanismes quand moi-même j’ai été de celleux qui ne veulent pas y croire et de celleux qui se taisent parce que j’étais aveuglée par l’affect.
J’ai connu une personne qui a agressé sexuellement plusieurs femmes lorsqu’il était sous l’emprise de drogue, dont moi. Et je n’ai rien dit pendant longtemps. J’étais totalement aveuglée par l’amour que je lui portais et tout l’espoir que j’avais de le voir un jour s’améliorer. Il m’a conté mille promesses de rédemption et j’y ai cru. Je l’ai cru parce que j’ai foi en l’être humain, parce que je persiste à croire que chacun·e ne peut que s’améliorer et que tout le monde grandit de ses erreurs, j’y ai cru parce qu’il était inadmissible que mon amoureux soit un agresseur, j’y ai cru parce qu’il était plus facile de fermer les yeux que d’accepter la douleur de cette réalisation. Puis je n’ai rien dit parce que cela aurait été admettre que mon amoureux était dangereux, je n’ai rien dit parce qu’il m’avait ordonné de me taire, je n’ai rien dit parce que je ne me sentais pas légitime, parce que je l’aimais. Je n’ai rien dit et je lui ai ainsi permis de m’agresser et d’agresser d’autres personnes.
C’est longtemps après qu’il m’ait agressée, une fois que j’étais sortie de son emprise que j’ai enfin réussi à admettre la douloureuse vérité. Force de recul, de prise de parole, de lecture de témoignages, de décorticages, d’analyses, avec des psys, avec des amis, avec des connaissances, avec ma famille.Ce qui me saute aux yeux aujourd’hui c’est que cette prise de conscience a été déclenchée à la suite d’une conversation avec une amie. Après avoir pris la parole, enfin. J’entends encore sa voix, résumant le récit des évènements que je venais de lui faire « Si je comprends bien il t’a agressée ? ». Elle a compris avant moi. Ça a été une claque d’une violence extrême. La réalisation.
Je me souviens du tourbillon de pensées qui a suivi ces paroles, les liens que mon cerveau a enfin faits, la compréhension de mon état d’angoisse permanent qui a démarré quelques jours après l’agression, la lumière qui s’allume d’un seul coup, l’éblouissement, la résolution de l’équation, le soulagement d’avoir enfin compris pourquoi je ne me reconnaissais plus depuis cet évènement.
Puis la colère. La honte. La rage. L’évidence du combat qui s’annonçait. Pas un combat contre lui, un combat pour la libération de la parole et la protection de mes sœurs.Cette prise de conscience, bien que tardive, m’a largement ouvert les yeux sur l’importance majeure de la prise de parole, que ce soit des victimes, des agresseur·ses ou encore des témoins. Je me demande toujours ce qu’il se serait passé si je n’avais pas eu cette conversation qui a tout changé.
Est-ce que j’aurais pu guérir la cause de la dépression qui a suivi cette agression ? Et si j’avais parlé plus tôt des comportements problématiques qu’avait eu mon copain avant de me rencontrer, est-ce que j’aurais été agressée ? Est- ce que j’aurais pu éviter que deux autres personnes après moi se fassent agresser ? Et si sa première victime avait parlé plus tôt, à plus de gens ? Et s’il ne m’avait pas obligée à ne rien dire ? Et si j’avais insisté pour avoir avec lui cette conversation sur sa prise de drogue problématique ? Si j’avais parlé plus tôt, est-ce que j’aurais essayé de tuer ? Est-ce que j’aurais eu besoin de fuir cette ville par peur de le croiser ? Comment serait ma vie si j’avais eu le courage de prendre la parole plus tôt ?
Je pourrais refaire toute l’histoire avec des « Et si » mais la réalité elle ne changera pas. Ma seule arme aujourd’hui est la parole et mon plus grand ennemi est le silence.Le silence est destructeur. Le silence des victimes, le silence des témoins, le silence des agresseurs·se·s, il laisse libre champ à l’agresseur·se de reproduire encore et encore ces agressions. Le silence protège les personnes qui agressent et est également un recours confortable pour les personnes qui sont témoins de tout ça et qui pensent que ce n’est pas à elleux de parler, que ce n’est pas leur responsabilité, que ce n’est pas leur combat.Ce n’est le devoir de personne, de parler, de faire cesser cela, à part de celui·le qui agresse mais c’est rarement ainsi que cela se passe.
Et pourtant si personne ne le fait alors tout continue, parce que personne n’ose, parce qu’on a peur d’être jugé·e pour ce combat, d’être jugé·e pour nos mots et nos actions, parce que « c’est quand même un mec sympa parfois », parce que « cette fois-ci il a compris », parce que ce ne sont « que des histoires de couple ». L’agression sexuelle est un délit. Ce n’est pas une « histoire de couple ».Aujourd’hui c’est moi que l’on montre du doigt parce que je parle, j’ose montrer ce qu’on ne veut pas voir, je dérange, je bouscule et beaucoup trouveraient ça bien plus confortable si je ne disais rien. C’est sale, ça fait peur, ça dégoûte, ça fait mal de parler de ça, on veut regarder ailleurs, on n’a pas le courage de confronter son ami·e qui agresse, on veut croire en la rédemption, on ne veut pas faire de tort alors on ne dit rien.
Je pense que beaucoup oublient que la non-action est déjà une action, que en voulant épargner à un·e agresseur·se le jugement public alors on participe à la mise en danger d’autres personnes. Je pense que ce n’est le rôle de personne en particulier, c’est seulement le rôle de tout le monde, de chaque voisin·e, de chaque copain·e, de chaque adelphe, de venir dire à une personne qui a des comportements inappropriés, répréhensibles qu’iel n’a pas le droit de se comporter comme cela et que tant qu’iel n’a pas pris conscience de cela alors iel est un danger pour les autres.
Je ne parle pas pour nuire aux différentes personnes qui m’ont agressées ou qui ont laissé faire, je ne parle pas pour qu’on me plaigne, je ne parle pas pour détruire, je parle pour construire. Je parle pour que ça cesse. Je parle pour que les personnes qui le désirent puissent se protéger. Je parle parce que c’est en lisant des récits comme celui que j’écris aujourd’hui que j’ai pu trouver le courage de prendre moi- même la parole. Je parle parce que ça fait du bien de mettre des mots dessus, parce que ça m’a donné de la force de comprendre que je n’étais pas la seule dans cette situation. Je veux transmettre cette force à mon tour, parce qu’on a le droit d’en parler, parce qu’on n’a pas à avoir honte, qu’on n’a pas à avoir peur. Je parle parce que ça guérit, parce que ça rend réelles les choses quand on les dit à voix haute et que pour laisser partir quelque chose il faut d’abord accepter de lui donner vie.
Elle est là ma lutte aujourd’hui, je ne veux pas inciter qui que ce soit à parler si iel n’en a pas envie ou besoin, je veux simplement dire à celleux qui ressentent ce besoin qu’iels ont le droit de le faire, que parfois ça aide de libérer cette parole, que c’est aussi le seul moyen de sortir de cet engrenage que sont la violence et l’omerta.Il faut que la honte change de camp, il faut que la peur change de camp, il faut que les personnes qui le désirent puissent échanger sur ce sujet sans être jugé·e·s et montré·e·s du doigt.C’est un travail que l’on doit faire tou·tes ensemble, les agresseur·ses, les agressé·es, les témoins. J’ai la conviction que c’est ce chemin qu’on doit prendre, celui de la parole.
Parler est essentiel. Parler est primordial. Parler pour briser la loi du silence, la dictature de l’omerta, parler pour éviter qu’il y ait de nouvelles victimes, parler pour se libérer du poids que l’on porte, parler pour comprendre, décortiquer, analyser, parler pour briser les cycles infernaux qui n’ont de cesse de se répéter. Parlé m’a sauvée et le silence a failli me tuer.
Si vous souhaitez, vous aussi, partager votre histoire, vous pouvez nous envoyer votre témoignage en message. Nous vous lirons toujours avec soin et bienveillance. Et si vous le souhaitez, nous pourrons le republier — dans le format qui vous correspond le mieux — afin de contribuer ensemble à briser le silence et faire circuler la parole.
Commentaires